25
Le retour
Moins d’une heure après la défaite de Lu-don et de Mo-sar, les chefs et les principaux guerriers de Pal-ul-don se rassemblèrent dans la grande salle du trône, au palais d’A-lur. Ils occupèrent leur place sur la haute pyramide et en désignèrent le sommet à Ja-don, qu’ils proclamèrent roi. Le vieux capitaine avait à ses côtés Tarzan, seigneur des singes, et Korak le Tueur, digne fils du puissant homme-singe.
Pour terminer la brève cérémonie, les guerriers jurèrent fidélité à leur nouveau souverain, en brandissant leur massue au-dessus de leur tête. Ja-don dépêcha une compagnie d’hommes dévoués à Ja-lur, pour en ramener O-lo-a, Pan-at-lee et les femmes de sa maison.
Les guerriers se mirent à discuter de l’avenir de Pal-ul-don. On souleva la question de savoir comment administrer les temples et quel sort réserver aux prêtres qui, pratiquement sans exception, avaient trahi le gouvernement royal en ne visant qu’à se procurer plus de pouvoir, de biens et d’influence. Ja-don se tourna vers Tarzan.
— Que le Dor-ul-otho transmette à son peuple les volontés de son Père, dit-il.
— C’est simple, répondit l’homme-singe. Il suffit que vous vous contentiez de faire ce qui plaît à Dieu. Vos prêtres, pour asseoir leur pouvoir, vous ont enseigné que Jad-ben-otho était un dieu cruel, dont les yeux se complaisaient au spectacle du sang et de la souffrance. Mais la défaite même du clergé vous a démontré aujourd’hui la fausseté de cet enseignement. Retirez donc les temples aux hommes et donnez-les aux femmes, pour qu’elles les servent avec tendresse, charité et amour. Lavez le sang de vos autels orientaux et videz à tout jamais les bassins des autels occidentaux. Un jour, j’ai donné à Lu-don l’occasion de le faire, mais il a ignoré mes préceptes et la prison du temple est de nouveau pleine de victimes désignées pour le sacrifice. Libérez-les, dans tous les temples de Pal-ul-don. Puis apportez en offrande les dons qui plaisent à votre peuple et placez-les sur les autels de votre Dieu. Il les bénira et les prêtresses de Jad-ben-otho pourront les distribuer à ceux qui en ont le plus besoin.
Quand il eut cessé de parler, un murmure d’approbation parcourut l’assemblée. On avait eu trop longtemps à se plaindre de l’avarice et de la cruauté des prêtres. Maintenant que la source même de l’autorité religieuse offrait les moyens de se débarrasser de la règle ancienne, sans rien changer à la foi populaire, on en acceptait volontiers les principes.
— Et les prêtres ? demanda quelqu’un. Nous les mettrons à mort sur leurs propres autels, s’il plaît au Dor-ul-otho de nous le commander.
— Non, répliqua Tarzan, cessons de répandre le sang. Rendons-leur la liberté et donnons-leur le droit de se livrer aux occupations qu’ils choisiront.
Cette nuit-là, une grande fête se déroula dans le pal-e-don-so où, pour la première fois dans l’histoire de Pal-ul-don, des guerriers noirs s’assirent, dans la paix et l’amitié, aux côtés des Blancs. Un pacte fut scellé entre Ja-don et Om-at, aux termes duquel la tribu de ce dernier deviendrait l’amie et l’alliée des Ho-don.
Ce fut alors que Tarzan apprit la raison pour laquelle Ta-den n’avait pas attaqué à l’heure convenue. Un messager était venu, de la part de Ja-don, donner des instructions suivant lesquelles l’assaut devait être retardé : il fallait attendre midi. On avait découvert trop tard qu’il s’agissait d’un prêtre de Lu-don, déguisé en émissaire. Une fois démasqué, on l’avait mis à mort et, sans perdre plus de temps, on avait couru escalader le mur du temple.
Le lendemain, O-lo-a et Pan-at-lee arrivèrent au palais d’A-lur, avec toutes les femmes de la famille de Ja-don. Dans la grande salle du trône, Ta-den épousa O-lo-a et Om-at Pan-at-lee.
Tarzan, Jane et Korak demeurèrent une semaine les hôtes de Ja-don, tout comme Om-at et ses guerriers noirs. Puis l’homme-singe annonça qu’il allait quitter Pal-ul-don. Ses hôtes n’avaient qu’une idée vague de l’emplacement du Ciel, ainsi que des moyens utilisés par les dieux pour voyager entre leurs demeures célestes et les terres de l’homme. Aussi personne ne posa-t-il de question quand on apprit que le Dor-ul-otho, son épouse et son fils quitteraient le pays en traversant les montagnes du Nord.
Les voyageurs passeraient par Kor-ul-ja, accompagnés des guerriers de cette tribu et d’un grand contingent de Ho-don, commandés par Ta-den. Le roi, de nombreux hommes d’armes et une multitude de citadins les accompagnèrent jusqu’aux limites d’A-lur. Après avoir pris congé, Tarzan invoqua sur eux les bénédictions de Dieu. Les trois Européens virent ces simples et loyaux amis se prosterner dans la poussière. La foule ne se releva que lorsque la caravane eut quitté le territoire de la cité, pour disparaître sous les arbres de la forêt.
Tous trois restèrent un jour chez les Kor-ul-ja, où Jane visita les antiques cavernes de ce peuple étrange. Puis, on se remit en chemin, en évitant l’épaulement escarpé de Pastar-ul-ved, que l’on contourna pour arriver au versant opposé, dont les pentes descendaient jusqu’au grand marécage. Le voyage se fit confortablement et en toute sécurité, grâce à l’escorte de Ho-don et de Waz-don.
Beaucoup se demandaient en eux-mêmes comment les dieux traverseraient le grand marais. Mais Tarzan semblait, à ce sujet, le moins préoccupé de tous. Il avait rencontré bien des obstacles au cours de sa vie et il en avait conclu que celui qui veut passer passe toujours. Il envisageait une solution commode, mais la chance devait y jouer un grand rôle.
Le matin du dernier jour, alors qu’on levait le camp pour se mettre en route, un profond mugissement se fit entendre dans un bosquet voisin. L’homme-singe sourit. La chance était au rendez-vous. Le Dor-ul-otho, son épouse et son fils quitteraient le monde inconnu de Pal-ul-don de la manière la plus appropriée à leur haute condition.
Il portait toujours le javelot fabriqué par Jane. Il y tenait beaucoup, car c’était l’œuvre des mains de sa compagne. Aussi avait-il demandé, après sa libération, qu’on fasse des recherches dans le temple d’A-lur pour le retrouver et le lui rapporter. Il avait dit en riant que cette arme occuperait la place d’honneur au-dessus de l’âtre, tout comme le vieux fusil à pierre d’un ancêtre puritain, sur la cheminée du professeur Porter, père de Jane.
En entendant ce mugissement, les guerriers ho-don, dont certains avaient accompagné Tarzan au camp de Ja-don à A-lur, regardèrent l’homme-singe d’un air interrogateur. Les Waz-don d’Om-at, quant à eux, regardaient plutôt du côté des arbres ; en effet, le gryf est l’unique créature de Pal-ul-don qu’il ne fait pas bon rencontrer, même quand on est une multitude de guerriers. Son épaisse peau cuirassée est invulnérable aux lames de couteau, tandis que les massues de jet rebondissent sur elle comme si elles heurtaient l’épaulement rocheux de Pasat-ul-ved.
— Attendez-moi, dit l’homme-singe.
Le javelot à la main, il s’avança vers le gryf en poussant le cri caractéristique du Tor-o-don. Le mugissement cessa et céda la place à de petits grognements sourds. Le grand animal surgit. Ce qui suivit ne fut que la répétition des expériences précédentes de l’homme-singe avec ces créatures aussi féroces que volumineuses.
Ainsi donc Jane, Korak et Tarzan traversèrent les marais entourant Pal-ul-don sur le dos d’un tricératops préhistorique, tandis que les reptiles aquatiques fuyaient en sifflant de terreur. Parvenus sur la rive opposée, ils se retournèrent et crièrent des mots d’adieu à Ta-den, à Om-at et aux braves guerriers qu’ils avaient appris à admirer et à respecter. Puis Tarzan poussa sa monture titanesque vers le Nord. Il avait décidé de ne pas s’en séparer avant d’être sûr que les Waz-don et les Ho-don avaient eu le temps de regagner des lieux relativement protégés, dans les ravines qui se creusent au pied des contreforts.
Alors, il fit évoluer la bête de manière qu’elle regarde vers Pal-ul-don. Ils en descendirent tous trois et un coup vigoureux sur sa peau épaisse envoya la créature, de son pas lourd et majestueux, dans la direction de sa terre natale, Tarzan et les siens restèrent quelque temps à regarder le pays qu’ils venaient de quitter, le pays du Tor-o-don et du gryf, du ja et du jato, des Waz-don et des Ho-don. Un pays primitif où régnent la terreur et la mort subite, mais aussi un pays de paix et de beauté, un pays qu’ils avaient appris à aimer.
Et puis, ils reportèrent définitivement leurs regards vers le nord, et ce fut le cœur léger et pleins de courage qu’ils entreprirent leur long retour vers le pays qu’on aime par-dessus tout : la patrie.